Les matériaux locaux

Dans le domaine de la construction en Haïti, la question des matériaux est centrale: la situation insulaire du pays a un impact considérable sur le coût économique et écologique de l’importation de matériaux de construction, dont certains sont de mauvaise qualité et/ou inadaptés au climat tropical. De plus, la centralisation des importations à Port-au-Prince rend difficile l’accès à ces matériaux en tant de crise.
 

L’analyse des cultures constructives locales montrent que des solutions plus économiques et écologiques sont possibles, avec la possibilité de produire et d’utiliser des matériaux localement: bois, terre, chaux, roches, fibres (sisal, vétiver…), etc. 

Depuis 2010, les projets de constructions selon l’approche TCLA ont permis d’explorer l’utilisation de divers matériaux locaux et de continuer à transmettre les techniques traditionnelles qui leurs sont associées. Des démarches de réemploi et de recyclage de matériaux ont également été expérimentées, notamment après le séisme de 2010, avec l’utilisation de briques de terre cuite récupérées, ou encore la réalisation de remplissages et la fabrication de tuiles de toiture avec les débris.

Préférer l’utilisation de matériaux locaux, c’est participer au développement de l’économie et à la création d’emploi en Haïti. L’approche TCLA pose également la question de l’impact écologique du secteur de la construction, en questionnant la provenance et les modes de production des matériaux utilisés.

La question du bois de construction

Structure en bois local – Roseaux, 2013

Au cours des dernières années, la crise multifactorielle que vit Haïti a eu des répercussions visibles sur le secteur des matériaux de construction: l’accès difficile aux importations arrivant à Port-au-Prince a engendré une forte augmentation des prix, en particulier du bois importé. 

Parallèlement, l’inadaptation de ces bois importés au climat tropical – avec des dommages structurels visibles en quelques années seulement – conduit les organisations, les professionnel·le·s et les client·e·s à préférer les essences de bois local, créant alors une pression plus forte sur les espaces boisés restants, ainsi qu’une augmentation des prix.

La question de la qualité et de la provenance du bois de construction est donc un enjeu majeur pour le développement de la filière TCLA, et plus largement pour l’ensemble du secteur de la construction.

Suite aux séismes récents, et au vu du bon comportement para-sinitres des constructions anciennes et récentes en ossature bois, de nombreux·ses haïtien·e·s préfèrent aujourd’hui la construction en bois à la maçonnerie de blocs de ciment et au béton.

Le bois est un matériau de construction traditionnellement très utilisé en Haïti, mais le déboisement massif du pays et l’absence de gestion règlementée des espaces boisés restants ne permet plus d’utiliser le bois local pour la construction à grande échelle.

Dans le même temps, le bois importé disponible chez les revendeurs et distributeurs, majoritairement du pin provenant d’Amérique du Nord, est de mauvaise qualité et n’est pas adapté aux à la construction de structures durables, en particulier en milieu tropical: faibles qualités mécaniques, faible durabilité naturelle, traitement de préservation de qualité très variable et souvent insuffisant, faible résistance aux termites et au pourrissement. De plus, le prix de vente de ce type de bois est plus élevé que celui des bois locaux. L’utilisation de ces bois importés ne permet pas de garantir la pérennité des constructions, et risque à terme de donner une mauvaise image de la construction en bois.

 

Ossature en bois local (diverses essences) – projet « Un toit, Un avenir » – 2015 – ©Philippe Petit

Produire du bois de construction pour contribuer à la réduction des vulnérabilités

Activités de reboisement à La Vallée-de-Jacmel – 2015 – ©Philippe Petit

Pépinière de bois de construction chez ACAPE, Laborde, Les Cayes – 2023

La déforestation d’Haïti s’explique par plusieurs facteurs:

  • L’exploitation massive et non régulée des ressources forestières, d’abord par les colons, ensuite pour le remboursement de la dette de l’indépendance, et enfin par des sociétés étrangères avec l’accord du gouvernement haïtien. Cette exploitation a concerné une grande quantité de bois d’œuvre et tinctoraux (Acajou, Campêche…) et s’est faite sans actions pour renouveler la ressource;
  • L’absence de politique claire et de règlementation pour limiter la déforestation, reboiser et gérer les espaces boisés et la production de bois;
  • L’augmentation continue de la misère et des inégalités sociales, conduisant les paysan·e·s à préférer des cultures à rendement rapide et la production de charbon;
  •  Le développement exponentiel et non contrôlé des espaces urbains, au détriment des espaces naturels et boisés.
 
 

La déforestation impacte grandement tous les secteurs de la vie: terres agricoles et habitat vulnérables à l’érosion et aux glissements de terrain, accentuation du dérèglement climatique (sécheresse et inondations), dégradation des zones côtières et éloignement des zones de pêche, dégradation de la qualité de l’eau, etc. Cet impact est aussi très visible dans le secteur de la construction, car peu de bois d’œuvre local est disponible sur le marché, alors même que les essences de bois traditionnellement utilisées sont d’une qualité infiniment meilleure que le bois importé d’Amérique du Nord.

Malgré la mise en place de nombreux projets de reboisement depuis des décennies, force est de constater que le résultat est pour le moment insatisfaisant. C’est qu’au-delà de la vision romantique du renouvellement du couvert végétal, il est nécessaire de prendre en compte la réalité des paysan·e·s qui sont pour la plupart dans l’incapacité de subvenir aux besoins les plus élémentaires de leur famille. Il est aujourd’hui essentiel de développer des projets de reboisement réellement intégrés et réalistes, répondant concrètement aux besoins des familles paysannes. Ce type de projet doit comprendre l’accompagnement technique et logistique pour intégrer le bois dans des systèmes de production diversifiés, limiter les coûts de production, augmenter la productivité agricole, et faciliter la distribution des produits.

Les acteur·rice·s du Rezo TCLA soutiennent que tout projet de construction, quelles que soient les techniques et matériaux utilisés, doit intégrer une composante de soutien au reboisement durable et raisonné. Dans ce sens, il est nécessaire de tisser des liens entre les organisations et professionnel·le·s en construction et le secteur de l’agriculture.

Pour aller plus loin...

Les essences de bois local dans la construction

Document produit en 2022 lors d’un atelier de travail avec des organisations engagées dans la construction TCLA dans la département du Sud.